Mardi, 26 mars 2019

Réforme de la fiscalité : enfin une baisse d'impôts, grimace des couples mariés

Les Vert'libéraux ont soutenu les projets de réforme fiscale et de la péréquation financière. Une étape très importante pour le canton, mais pas encore l'aboutissement des choses. Nous regrettons en particulier le manque d'ambition pour ce qui est des couples mariés, qui ne bénéficieront pas d'un taux de splitting de 50%.

Par Mauro Moruzzi, député au Grand Conseil

 

Les Vert’libéraux accueillent de manière favorable ce projet dans son ensemble, même si certains aspects de la réforme les laissent dubitatifs, voire même franchement perplexes. Ainsi, le présupposé que la réforme fiscale doive se faire uniquement par le jeu d’une compensation quasi intégrale des diminutions de charges par une augmentation d’autres rentrées fiscales, directes ou indirectes, est difficilement compréhensible, surtout sur un long terme : à la fin, qu’il paie des impôts cantonaux, communaux ou fédéraux, c’est souvent du même contribuable qu’il s’agit. A bien des égards, on ne peut s’empêcher de constater que ce qui est donné d’un côté est largement repris de l’autre.

 

Autre malaise : certaines injustices connues ne sont pas, ou pas entièrement, corrigées par la réforme. Nous pensons ici en particulier au taux de splitting, qui continuera de pénaliser les couples mariés. On peut même craindre qu’en fonction de la conjoncture économique, l’abaissement prévu du taux de 55 à 52% soit repoussé aux calendes grecques, puisque son adoption n’est prévue qu’en 2021 : sur ces deux points, notre groupe ne suivra par les propositions du Conseil d’Etat. Nous plaidons pour une entrée en vigueur du taux abaissé dès 2019, et pour une pleine égalité de la taxation, quel que soit le statut marital.

 

Mais voyons maintenant les aspects positifs de la réforme : l’imposition des personnes physiques, en particulier celle de la classe moyenne, va enfin baisser un peu et nous rapprocher de celles des autres cantons. Cela ne suffira certainement pas à faire revenir les milliers de contribuables que nous avons perdus ces dernières années, mais au moins la réforme devrait-elle permettre, pour une fois dans le domaine fiscal, un effet d’annonce positif en Suisse. L’espoir qu’on peut nourrir, c’est que la baisse de la fiscalité puisse contribuer à enrayer l’exode fiscal et à ne pas dissuader les catégories de personnes qu’il faudrait domicilier dans le canton à venir s’y installer. Pour mémoire, nous comptons quelque 90'000 emplois dans le canton, dont 23'000 sont occupés par des personnes qui n’y résident pas. C’est une perte fiscale d’autant plus importante qu’il y a parmi eux nombre de contribuables occupant des postes bien rémunérés.

 

Mais au-delà des rentrées directes manquantes, une fiscalité pénalisante, c’est aussi une perte considérable en termes de retombées économiques indirectes, et un appauvrissement social, culturel et politique : ces personnes qui travaillent chez nous mais sont domiciliées ailleurs ne participent en effet pas, ou très peu, à la vie de notre canton dans ces domaines.Enfin, la mobilité induite par les déplacements pendulaires représente souvent aussi un gaspillage en termes de qualité de vie et de ressources, ainsi qu’un poids non négligeable sur les infrastructures et d’un point de vue environnemental, notamment en lien avec les nuisances induites par le trafic automobile. Bref, une fiscalité plus attrayante ou moins dissuasive a des effets bien au-delà de ses aspects purement financiers.

 

L’autre volet important de la réforme concerne la fiscalité des personnes morales, un domaine, contrairement à celui des personnes physiques, dans lequel notre canton est bien positionné, avec des retombées très importantes pour les caisses publiques : le projet du Conseil d’Etat et les compromis trouvés en commission sur ce volet devraient permettre à notre canton de rester compétitif aux niveaux national et international, et nous les soutiendrons pleinement. En particulier, l’accent mis sur l’utilisation de l’instrumentaire fiscal en faveur de l’innovation est fondamental pour un canton comme le nôtre, dont la richesse est basée sur les exportations de produits à très haute valeur ajoutée, et qui peut compter sur nombre d’institutions et d’entreprises compétitives au niveau mondial dans le domaine.

 

Quant au dernier volet du paquet fiscal qui nous est soumis, celui concernant le « contrat-formation », il nous a laissés dubitatifs, dans la mesure où il revient à taxer plus, probablement de manière pérenne, les entreprises du canton. Cependant, le côté incitatif qui consiste à redistribuer une partie de la contribution au pro rata des places d’apprentissage mise à disposition devrait en effet contribuer à atteindre l’objectif du Conseil d’Etat qui vise à favoris les filières duales plutôt que celles en école. Et il reste du travail : seules 11% des entreprises neuchâteloises forment des apprenti-es, contre 40% au niveau national, une statistique qui interpelle. Nous soutiendrons donc le compromis trouvé en commission, mais nous l’assortissons du dépôt d’un postulat, demandant au Conseil d’Etat de chercher les voies et moyens d’alléger le fardeau administratif des PME formatrices, en étroite collaboration avec les organisations du monde du travail. Car l’un des principaux obstacles à la création de places d’apprentissage, c’est la charge administrative toujours plus lourde qui doit être assumée, et qui est devenue dissuasive pour beaucoup de petites entreprises.

 

Deux mots maintenant des propriétaires de leur propre logement, qui se verront allégés de 17 millions sur la valeur locative. Dans le même temps, un nouvel impôt foncier délestera de 22 millions les propriétaires d’immeubles de rendement. Pas sûr que cela incitera beaucoup de gens que l’on veut domicilier dans le canton de porter leur choix sur la rive neuchâteloise du lac de Neuchâtel, sur nos Vallée ou sur nos Montagnes. Et les six millions supplémentaires prélevés sur les propriétaires non-résidents ne devraient pas en encourager de nombreux autres à investir chez nous dans l’immobilier et son entretien. Cet aspect du projet est certainement un des plus contestables.

 

Enfin, la « marge de manœuvre » octroyée aux communes à hauteur de 7,5 millions est d’un côté assez théorique, mais si elle se réalise, elle illustre de l’autre côté le paradoxe d’une réforme qui reprend d’une main ce qu’elle a donné de l’autre. La passe décisive, en football, c’est le coup de génie qui permet de démarquer l’attaquant à l’affût dans l’arrière-garde adverse. Elle permet de marquer un but, mais elle n’est pas nécessairement synonyme de victoire en tant que telle. Car il faut bien l’admettre, en filant la métaphore sportive : marquer un but, quand on est largement mené au score, c’est juste sauver l’honneur. Mais ça peut aussi, et dans notre cas, ça doit être le point de départ d’une véritable « remontada ».

 

Une étape indispensable donc, mais pas encore l’aboutissement des choses.