Mardi, 19 février 2019

L'Hôpital est mort - vive l'Hôpital

Sous le consensus politique du projet accepté au Grand Conseil ce mardi 19 février 2019 sur le nouvellement nommé "Réseau Hospitalier Neuchâtelois" : un projet avant tout insatisfaisant et qui s'annonce ruineux pour le canton. Bien conscients de la volonté populaire de conserver des soins de proximité, nous refusons toutefois une nouvelle structure ne tiendra hélas pas ses engagements d'économie et de performance sanitaires. C'est pour cela que les députés vert'libéraux n'ont pas consenti à soutenir une loi (LRHNE) qui ne règle aucun problème de fond, et qui de plus démontre que l’initiative ne pouvait pas tenir toutes ses promesses.

Prise de position de Mauro Moruzzi, député au Grand Conseil, au nom des députés vert'libéraux lors de la session de février 2019.

 

La Commission santé du Grand Conseil, à force de patience et d’abnégation, est parvenue à nous présenter aujourd’hui un projet qui a l’ambition de mettre un point final au serpent de mer hospitalier. Le compromis politique est sous toit, gare à qui viendrait le bousculer aujourd’hui : les lignes rouges ont été tracées, la moindre velléité de modifier les arrangements trouvés se verra sacrifiée sur l’autel de la paix régionale retrouvée. Dont acte : ce projet est un très bon compromis politique.

 

Mais quand l’hiver reviendra, les dents recommenceront à grincer, au moment où il faudra tailler dans le vif des prestations de l’Etat. Tailler, en bonne partie pour couvrir le déficit de l’Hôpital neuchâtelois, qui pourtant fait des efforts année après année pour réduire ses dépenses. On fermera alors peut-être la haute école de musique, on sabrera dans la culture, la sécurité, la formation, le social, l’environnement, l’entretien des routes ou encore les investissements. 

 

Car les coûts du futur « Réseau hospitalier neuchâtelois », loin de permettre les économies promises il y a deux ans, seront de toute façon plus élevés qu’aujourd’hui. Mais pas parce que la sécurité des patients ou la qualité des soins se seront améliorées. Non, cela coûtera plus cher, notamment, parce qu’on aura engagé davantage de personnel administratif et parce qu’on paiera des équipes supplémentaires dans des blocs opératoires qui passeront leur temps à attendre un éventuel patient le dimanche - pour autant qu’on arrive à engager du personnel à cet effet.

 

On paiera aussi un peu plus pour la « ligne rouge » la plus étrange de toutes : celle qui consiste à imposer un changement de nom à notre structure hospitalière cantonale. Pour passer d’« Hôpital neuchâtelois » à « Réseau hospitalier neuchâtelois », on dépensera des dizaines, peut-être des centaines de milliers de francs pour changer la signalétique. Je ne sais pas quel effet bénéfique cela aura pour le patient, mais je crains que le contribuable, lui, risque d’éprouver quelques aigreurs supplémentaires à celles qu’il connaît déjà.

 

Ce n’est pas avec ce type de compromis politique qu’on construit une politique de santé digne de ce nom, ni qu’on contribue au redressement des finances de notre canton, ni qu’on améliore son attractivité et je ne suis même pas sûr non plus qu’on renforce la cohésion cantonale au-delà de quelques mois de répit éventuel sur la question hospitalière.

 

Qu’on se comprenne bien : toutes les régions du canton, le Haut comme le Bas et les Vallées, doivent pouvoir bénéficier de la même sécurité en matière sanitaire. Mais pour ce qui est d’offrir une palette complète de services médicaux de pointe, c’est notre Canton lui-même qui est devenu trop petit.

 

Et il n’est pas le seul : pas plus tard que dimanche, la NZZ am Sonntag publiait un article intitulé « Les petits hôpitaux étouffent ». Il n’y était pas question du canton de Neuchâtel, mais d’une longue liste d’établissements hospitaliers au bord du gouffre, situés près de Zurich, à St-Gall, à Bâle et ailleurs en Suisse alémanique. Les causes sont les mêmes que chez nous : un excès de l’offre, une pression continue sur les coûts, le développement de l’ambulatoire, l’incapacité de dégager les moyens d’investir, le nomadisme des patients, la concurrence des centres hospitaliers universitaires, les équipements techniques toujours plus sophistiqués et onéreux, et j’en passe. L’article souligne par ailleurs la difficulté de prendre des décisions politiques courageuses : le maintien de structures hospitalières, je cite, « c’est un moyen éprouvé pour se profiler chez les politiciens, qui permet de s’assurer une base électorale stable ».  On le voit : il n’y a pas ici de particularisme neuchâtelois, et les mêmes causes produisent les mêmes effets partout.

 

La conclusion de cet article, comme d’ailleurs d’un éditorial récent publié par le « Temps », c’est que le maintien d’une structure de santé de proximité passe bien par des réseaux, mais par des réseaux débordant largement les frontières cantonales. Et elle passe par la complémentarité et non la duplication de structures qui se cannibalisent. Tout l’inverse du projet qui nous est soumis aujourd’hui.

 

La commission santé a fait son travail au mieux, dans le cadre du mandat qui était le sien : tenter la mise en œuvre d’une initiative qui promettait de faire plus et mieux pour moins cher. Malgré toute la bonne volonté du monde, il est aujourd’hui évident que ce n’est pas possible. Et tout le monde le sait. Le Conseil d’Etat en tête, quand il observe, je cite, que « les deux ans écoulés depuis le vote de l’initiative ont aussi permis une prise de conscience assez large sur les contraintes et les enjeux […] qui s’imposent à tous les cantons et à tous les établissements hospitaliers, en particulier de soins aigus. »

 

Il ajoute plus loin que « l’option retenue par le peuple – et désormais par la commission santé – comporte des facteurs de risques et de fragilité qui n’ont pas disparu avec l’émergence du consensus politique que traduit le rapport ». Et de souligner l’existence d’un cadre fédéral de plus en plus contraignant. On relèvera également avec intérêt les propos du président de la commission santé, dans les colonnes d’Arcinfo la semaine dernière : « Notre modèle n’est pas destiné aux cent prochaines années. Mais il tiendra en attendant de voir comment évolue le paysage hospitalier suisse ». Cette évolution n’attendra pas cent ans. Elle n’attendra pas non plus 10 ans : elle est déjà en route. Et il y a très fort à parier que le contexte fédéral évoluera aussi assez rapidement, tant la pression qui repose sur les épaules des cantons devient insoutenable.

 

Pourquoi dès lors se lancer dans une réorganisation à laquelle personne ne croit réellement – et notamment pas la quasi-totalité des cadres de l’hôpital neuchâtelois, qui ont exprimé leur malaise via une lettre ouverte publiée la semaine passée ? Pour tout devoir recommencer dans cinq ans, après avoir perdu inutilement du temps, mais aussi de l’argent, et surtout des compétences et de la confiance ? Non, il faut aujourd’hui avoir le courage de remettre les compteurs à zéro et de regarder vers l’avant.

 

En faisant fi de la volonté populaire ? Pas du tout : d’abord, la situation a évolué depuis 2017, et elle continue d’évoluer rapidement, que cela nous plaise ou non.

 

Ensuite, il est devenu évident que toutes les promesses des initiants étaient impossible à tenir : l’alternative au modèle actuel, pourtant considérée comme beaucoup trop cher par ses détracteurs, se révèle être encore plus chère, sans aucun bénéfice sanitaire évident. La promesse de pouvoir mettre sur pied un système décentralisé qui évite « le gouffre à un demi-milliard » dénoncé par les initiants a fait sans doute pencher la balance en 2017. Or, la volonté du peuple ne sera pas respectée sur ce point si nous adoptons le projet de la commission santé.

 

Il ne s’agit pas pour autant de faire fi de la volonté de décentralisation, bien réelle, ni du désir légitime des populations du Haut de bénéficier de services hospitaliers de proximité et de qualité. Mais osons le dire clairement : ni l’organisation actuelle, ni celle alternative proposée aujourd’hui ne sont satisfaisantes dans la perspective plus large de l’évolution du système de la santé qui est en cours et qu’il faut repenser fondamentalement.

 

Saisissons donc l’opportunité qui nous est paradoxalement offerte par la longue crise du système hospitalier neuchâtelois pour envisager une réflexion qui dépasse les questions spatiales cantonales, sans les négliger pour autant. Donnons-nous le temps d’une réflexion inclusive, en instaurant un véritable dialogue avec la population et les différents acteurs du domaine de la santé, dans toutes les régions, en prenant en compte l’ensemble des dimensions du débat, qu’elles soient d’ordre technique, financier, social ou symbolique.

 

Notre modèle actuel est voué à l’échec, et le vieillissement de la population ne fera qu’accentuer ses contradictions.

 

La majorité de notre groupe [tous les députés vert'libéraux, NDLA] refusera donc un projet qui ne règle aucun problème de fond, qui a toutefois le mérite de démontrer que l’initiative ne pouvait pas tenir toutes ses promesses : la commission santé a fait au mieux pour essayer d’obtenir la quadrature du cercle et il faut lui en être reconnaissant. Mais répondre à des défis réels en tentant de remplacer un système défaillant par un autre sans avenir n’est pas une solution : c’est une démission. Et quel que soit le résultat du vote de ce jour, rien ne sera réglé fondamentalement.

 

Les initiants du projet H+H ont permis à un désarroi et à un ras-le-bol légitimes, de s’exprimer, pour lesquels d’autres réponses doivent être trouvées. La réponse purement technocratique qui consiste à aligner des chiffres ou prendre des décisions d’autorité sans chercher le dialogue avec les gens est vouée à l’échec. On l’a bien vu à de nombreuses reprises ces dernières années. En d’autres termes, nous devons saisir l’occasion d’un nouveau départ, sur des bases plus inclusives.

 

On a beaucoup parlé d’assises de la culture dans cet hémicycle : il est l’heure de lancer les assises de la santé ou toute autre forme de processus ambitieux de construction d’un consensus pour accompagner les choix que nous devrons faire dans les années à venir. Notre groupe est disposé à s’engager pour qu’un tel dialogue structuré voie le jour. Mais il est impossible d’être inclusif en se lançant dans des initiatives isolées : idéalement, le processus devrait être porté conjointement par toutes les forces politiques et le conseil d’Etat. C’est pour cette raison que nous avons renoncé à déposer avant le débat de ce jour une proposition dans ce sens : nous voulons lui permettre de mûrir en dehors de toute polémique et de toute considération partisane.

 

Mais nous serions heureux, comme sans doute la grande majorité de nos concitoyennes et de nos concitoyens, qu’à l’avenir, et quel que soit le résultat de nos débats, que nous puissions discuter de notre système de santé dans le respect des uns et des autres, et de manière plus inclusive que jusqu’ici. Pas seulement inclusive des spécialistes et des politiciens, mais aussi inclusive des citoyennes et des citoyens, pour qu’un débat qui dépasse de beaucoup les questions de statuts et d’organisation.